Delon en large (5)
Nous sommes deux poinçonneuses / Nées sous le signe des gémeaux / Mi fa sol la mi ré, ré mi fa sol sol sol ré do.
Encore une fois, je sèche les Pasolini pour découvrir un documentaire que j’ai raté au Louxor il y a quelques jours : Les années super-8.
Les années super-8, Annie Ernaux, David Ernaux-Briot, France, 2022, 1h02.
David Ernaux-Briot a remonté 9 années de films super-8 familiaux (1972-1981) et a proposé à sa mère Annie Ernaux de partager les souvenirs liés à ces images. Mes neurones fonctionnent à plein régime pendant la projection. L’utilisation dans le cadre d’un travail de création d’archives familiales est un sujet qui je n’a jamais cessé de me passionner aussi bien dans le cadre d’une pratique personnelle qu’à titre de spectateur.
Les années super-8 s’érige d’ores et déjà comme un modèle du genre. Comme dans ses meilleurs livres (Je pense notamment aux Années), l’intime et l’universel sont mis en perspective : la chute d’Allende au Chili aussi bien que la désagrégation d’un couple. La voix off explique ce que la caméra n’a pas pu capter mais qui, avec le recul, apparait en filagrammes.
A la fin de la séance, David Ernaux-Briot se prête au jeu des questions. Jusqu’au trottoir en face du cinéma pour les plus coriaces. Je mets longtemps à attirer son attention mais une fois obtenue, je ne la lâche plus. Il me confie qu’il a commencé à lire les livres de sa mère à l’adolescence mais qu’il ne les connaît pas tous - il se garde par exemple d’aborder ceux où elle dévoile sa vie sexuelle. Il confirme ce qu’on pressent dans le film : que personne, dans son cercle familial, n’avait lu une seule ligne d’Annie Ernaux avant la sortie en librairie des Armoires vides, manuscrit dont aussi bien Gallimard que Flammarion s’étaient disputés l’exclusivité. Il n’a pas vu Et j’aime à la fureur de André Bonzel, dont l’écriture repose également sur l’utilisation d’images super-8.
Ecoute t-il encore Iron Maiden et Queen, comme sa mère le raconte à un moment ? Il me confie qu’il a évolué, et qu’il apprécie aujourd’hui System of A Down.
Et oui, j’ai réussi à parler de System of A Down avec le fils d’Annie Ernaux.
Après Annie Ernaux, une autre de mes idoles m’attend en début d’après-midi : Alain Cavalier. Première projection publique de son nouveau long-métrage L’amitié, au sujet duquel je ne sais rien, au sujet duquel je n’ai rien cherché à savoir.
L’amitié, Alain Cavalier, France, 2022, 2h04.
L’amitié est sur le modèle de Six Portraits XL. Il s’agit de trois récits d’amitié née dans un cadre professionnel : avec le parolier Boris Bergman, le producteur de cinéma Maurice Bernard et le comédien amateur qui tient le rôle principal de Libera Me. En introduction à son film, le réalisateur demande à l’auteur de “Vertige de l’amour” d’écrire à la plume les paroles de la chanson sur une page blanche. Le spectateur apprend à cette occasion l’existence d’un projet Bashung / Bergman / Cavalier, inachevé : les liens qui unissaient les deux premiers s’étaient distendus.
Comme David Ernaux-Briot, Alain Cavalier se prête au jeu des questions. Il faut cinq minutes pour que mon cerveau se mette en route : j’ai enregistré grâce à mon téléphone toutes les interventions publiques d’Alain Cavalier auxquelles j’ai pu assister, pourquoi ne pas ajouter un nouvel enregistrement à ma collection ?
J’ai eu le projet de publier un fanzine pirate qui se serait appelé “Un Cavalier qui surgit du fond de la nuit” et qui aurait comporté trois textes : le récit de la projection de Un étrange voyage au Louvre, la retranscription de la rencontre avec Alain Cavalier chez Potemkine et l’enregistrement pirate du spectacle avec Mohamed El Khatib donné aux Amandiers. Malheureusement, le son n’était pas terrible le soir où j’y ai assisté, et et certains dialogues sont intelligibles.
Une amie de Carine et Philippe, auquel je confie ce projet, me conseille d’aller jusqu’au bout, que c’est le propre des enregistrements pirates d’être imparfaits et incomplets.
Un dernier Delon pour la route ?
L’Eclipse, Michelangelo Antonioni, Italie / France, 1962, 2h05.*
Un après Rocco et ses frères, Alain Delon passe des bras d’Annie Girardot à ceux de Monica Vitti, qui lui dit cette phrase terrible : “J’aimerai ne pas t’aimer pas du tout. Ou t’aimer beaucoup plus.” C’est la seule séance à laquelle j’ai assisté lors de laquelle le film n’a pas été applaudi à la fin - les spectateurs sont sans doute été pris de cours par la conclusion abrupte. Est-ce que les films en noir et blanc ne sont pas encore plus beaux sur grand écran que les films en couleurs ? Est-ce qu’Alain Delon n'est pas encore plus beau quand il parle italien ?
C’est l’heure de rentrer à Chatelaillon. Pendant la semaine, de gros bonhommes roses ont envahi la ville : il s’agit de l’expo Philippe Katerine, qui débute la semaine prochaine. Le FEMA se termine mais les Francofolies sont sur le point de commençer. Alain Delon n’y sera pas non plus présent : il n’interprétera pas “Paroles, paroles” en duo avec Juliet Armanet.