Noël à Paques
Descendre le boulevard St Michel à vélo en fredonnant un air entendu dans un film de Clouzot.
C’est Lisa qui sonne l’alerte samedi dernier : rencontre avec Noël Herpe mardi 19 avril à 18h à la librairie du cinéma du Panthéon. Nos chemins, à force de se rapprocher, vont-ils finir par se rencontrer ?
Il y a quelques années, alors que je collectionne avidement les photomatons et que je ne lis que des récits autobiographiques, je tombe sur un livre qui réunit ces deux passions : “Journal en ruines” de Noël Herpe, écrit entre 1986 et 2006. Outre la forme, très proche de mon Ramble Tamble hebdomadaire, je suis séduit par les personnages qui peuplent le quotidien de ce cinéphile : je croise aussi bien Arletty que Michka Assayas, le fantôme de Gaby Morlay que le père de l’auteur, dont les lettres, reproduites in extenso, ponctuent le récit. “Journal en ruines” est le premier volet d’une trilogie, qui offre la possibilité de se plonger dans les états d’âme de l’auteur jusqu’en 2015.
Au même moment, j’entreprends de trier ma bibliothèque et je multiplie les allers-retours à la bouquinerie Oxfam rue Saint-Ambroise. En sortant, je m’arrête souvent devant un rez-de-chaussée qui m’intrigue. Un homme chauve avec des lunettes rondes vit seul dans ce qui doit être un ancien magasin. La pièce qui donne sur la rue n’est pratiquement pas meublée : on dirait la scène d’un petit théâtre. Un soir de décembre, je regrette de ne pas avoir d’appareil photo : il est seul dans son salon, uniquement éclairé par la lumière de son ordinateur portable, et il est vêtu d’un pull rose sur lequel est brodé avec un immense cœur.
Chaque fois que je passe rue Saint-Sébastien, je ne manque jamais de m’arrêter. Est-ce que l’homme au pull rose est là ? Est-ce que je ne fais pas exprès de passer par cette rue pour m’en assurer ? C’est devenu un rituel. Un jour que la lumière est éteinte, je m’approche pour découvrir le nom au-dessus de la sonnette. Stupéfaction : c’est celui de Noël Herpe. Peu de temps après cette révélation sort en librairie “Objet rejeté par la mer”, où l’auteur écrit page 189 :
“Me voici installé rue Saint-Ambroise, dans un vaste espace vide où l’eau et l’électricité fonctionnent par intermittence. J’ai posé mon ordinateur dans le salon, au milieu d’une maison en verre où vont et viennent les gens, qui regardent ce type bizarre perdu dans ses rêveries.”
Mais ça ne s’arrête pas là. Quelques mois plus tard, François m’offre un nouveau fascicule de Noël Herpe, “Dissimulons”, où je découvre une coïncidence encore plus troublante. Puisque l’auteur parle d’une projection privée à laquelle j’ai moi-même assisté, et pour cause : c’était celle du film réalisé par François. C’était la première fois que, dans un livre, je découvrais le récit d’un évènement auquel j’avais participé.
Et ça ne s’arrête jamais. A la rentrée 2021, lors d’une des conférences données par Thomas Clerc à Beaubourg, j’ai la surprise de retrouver un invité que je connais trop bien. Même s’il se produit costumé comme s’il jouait une pièce de Molière à la Comédie Française, j’ai immédiatement reconnu Noël Herpe à son collant. En page 13 de “Journal en ruines”, il confiait au lecteur :
“Il me semble que mon plus ancien souvenir d’enfance est celui-ci. Je suis allongé sur le lit de mes parents, et je porte un collant vert.”
Faut-il rencontrer ses idoles ? Noël Herpe était devenu un personnage récurrent de mon propre journal intime. Maintes fois, j’ai hésite à le lui envoyer. Je ne l’ai pas fait. Pourtant, ce soir, j’ai demandé à partir plus tôt, et je m’assieds au premier rang pour profiter au mieux de la rencontre. Je dois être la seule personne que Noël Herpe n’interpelle pas par son prénom. Je suis l’inconnu du Noël Club.
Noël Herpe publie un nouveau ouvrage qui est la reproduction de la correspondance entre Suzy Delair et H.G. Clouzot. L’auteur raconte sa relation avec la chanteuse / comédienne qui lui a plusieurs fois raccroché au nez et chez laquelle il a fini un jour par débarquer à l’improviste. Qui l’a accueilli comme si elle l’attendait, et qui a partagé pendant plus d’une heure ses souvenirs avec lui. Cerise sur le gâteau : la centenaire lui a même chanté “Mon petit tralala”, la chanson de “Quai des orfèvres”, son premier choc cinématographique. Noël Herpe lit plusieurs extraits de la correspondance en question, où Clouzot apparait sous un jour de plus en plus dominateur, et bientôt c’est l’heure pour le public de prendre la parole.
Je lève le main et je parle fort (J’ai l’impression d’être le journaliste qui, dans “Before Sunset”, pose la dernière question à Ethan Hawke avant qu’il n’aille prendre son avion). “Vous qui avez gratté à la porte de Suzy Delair, dites-nous, Noël Herpe : faut-il rencontrer ses idoles ?”. La réponse est sans détour : non. Même s’il reconnait avoir pris plaisir à interviewer certaines des figures mythiques du cinéma français (et son palmarès est éloquent), il explique qu’il aurait certainement eu réponse aux questions qu’il a posées en revoyant les films en profondeur. Et précise qu’aujourd’hui, entre une biographie et un ouvrage critique, il préfère toujours le second.
Je repense à Suzy et à son petit tralala qu’elle a chanté spécialement pour lui. Il ne manque pas d’air, Noël.