Tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu un magnétoscope (3)
Où sont tes racines, Godard ou Richard ?
Mercredi 05.07
Dilemme du matin : Manderlay de Lars Von Trier ou le documentaire de Frédéric Bonnaud consacré à Godard. Manderlay repasse samedi matin. Le documentaire est une projection unique. Va pour Godard, puisque c’est sa journée : trois séances sont proposées.
Godard par Godard, qui sera diffusé sur France Télévision à l’occasion du premier anniversaire de la disparition du réalisateur, obéit à deux contraintes : pas de voix off et pas de témoignages. Juste des extraits de films et des images d’archives. Car Godard, pendant toute sa carrière, a beaucoup joué le jeu des médias. On le retrouve interviewé par Henry Chapier, Eve Ruggieri et même Claude Sérillon. Les extraits choisis insistent sur un aspect méconnu de sa personnalité : son humour ravageur. On voit même Godard dragueur, retournant comme une crêpe une journaliste qui l’alpague lors d’une conférence de presse.
Il y aurait une passionnante étude à réaliser sur les paires de lunettes que Godard a porté durant sa carrière : depuis un modèle austère jusqu’à une libération totale des canons de l’esthétique.
Un jeune homme prend la parole après la projection. Comme c’est régulièrement le cas dans ce contexte, il n’a pas vraiment de question à poser. Mais il a envie de parler dans le micro. Il se perd dans des détails qui n’ont d’importance que pour lui.
Le directeur de la cinémathèque, qui a eu l’occasion de rencontrer Godard à plusieurs reprises, n’est pas avare de son temps. Il rappelle que Godard encensait les précurseurs et fustigeait les suiveurs : De Palma et Tarantino l’ennuyaient. Il réduisait toujours le nombre de ses films préférés à quatre : L’Arroseur arrosé, Regain de Pagnol, Pickpocket de Robert Bresson… et feignait d’avoir oublié le quatrième. Le réalisateur toujours été plus populaire que ses films, qui ont souffert après la sortie de Détective d’un désintérêt progressif des distributeurs et du public.
En seconde partie de la séance, une avant-première : Film-annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de guerre ». Ce moyen-métrage est le testament du réalisateur. Il se présente sous la forme d’un diaporama constitué de quarante collages, parfois sonorisés, parfois muets, qui suivent le cheminement toujours inattendu de sa pensée. La réaction du public ne se fait pas attendre, et les spectateurs s’enfuient les uns après les autres. Etonnant que, dans un festival qui programme des docs muets suédois des années 20, vingt minutes de Godard en roue libre paraissent un spectacle insurmontable.
Deuxième étape à 14h00 en Salle Bleue : le dialogue Duras/Godard, rejoué par Joana Preiss et Olivier Martinaud. Ce dernier a retrouvé exactement l’accent vaudois de Jean-Luc Godard. C’est sidérant. Je découvre le texte : je n’ai jamais lu la retranscription des entretiens ni visionné leur captation. Duras s’écoute beaucoup parler, et Godard relance régulièrement la roue. A un moment, ils parlent des vaches. C’est le moment le plus surréaliste du Fema 2023.
Dernière station à 15h15 en Salle Bleue : Histoire(s) du cinéma – Moments choisis. Soit un montage d’1h20 de la série en 8 épisodes dont la durée s’étale sur plus de 4 heures. Et où il est autant question de cinéma que de toutes les autres passions du cinéaste : l’histoire, la peinture, la musique classique, la littérature. En 1988, à partir de son stock de VHS et de CD, Godard mixait, dix ans avant l’apogée des DJ’s. Le visionnage tient en grande partie de l’hallucination, tant le rythme est frénétique. Pour la version longue, je vais attendre d’être remis.
Je n’ai pas réitéré l’erreur de lundi et j’ai retiré dès l’aube ma contremarque pour la projection unique de Un Nuage entre les dents, film que Christophe m’a fait découvrir il y a quelques années. Dans la filmographie de Pierre Richard, c’est un pas de côté : il rompt avec son personnage de grand dadais pour partir en vadrouille dans le Paris en reconstruction des années 70. Ca reste une farce, mais elle est cruelle : l’interprète de La course à l’échalotte est lancée dans une course au scoop qui vire au cauchemar.
C’est peut être la première fois qu’au cinéma, on le voit mal rasé, buvant du whisky au goulot.
Jeudi 06.07
Hier soir, Pierre Richard a fait une apparition surprise au sortir de la projection de Un Nuage entre les dents. Ce matin, c’est l’heure de sa master class, animée par Stéphane Lerouge et Jéremie Imbert.
Sa voix n’a pas changé. Il rappelle qu’il est né Pierre Defays à Valenciennes, dans un milieu bourgeois. Que c’est en faisant l’école buissonnière qu’il a découvert sa vocation, devant un film de Danny Kaye. Un extrait de La vie secrète de Walter Mitty est diffusé, et la filiation semble évidente : la même blondeur, le même sentiment d’être en permanence victime des évènements et le même comique du désespoir. Il se souvient que, les films américains étant taxés de propagande capitaliste en URSS, le cinéma français était incroyablement populaire : le comédien était, de l’autre côté du rideau de fer, célèbre jusque dans les provinces les plus reculées.
Il explique que, dans une comédie, l’émotion est plus forte. Que la mort d’un clown rend toujours triste, parce qu’il vous a fait rire. Que Claude Sautet l’adorait, mais qu’il ne savait pas quoi faire de lui. Que la première fois qu’il a eu l’occasion de diner chez Michel Bouquet, il était tellement impressionné qu’il n’a pas osé en placer une. Qu’il s’est coincé le pied dans la porte en partant, ce qui a impressionné Bouquet et cassé la glace entre eux.
Des regrets dans sa carrière ? L’échec d’Un nuage entre les dents, film grâce auquel il aurait pu glisser vers un registre différent. Un refus : celui qu’il a adressé à Xavier Beauvois, qui lui avait proposé un rôle dans Nord. Mais la vie va lui offrir une revanche : il tournera avec le réalisateur dans deux mois.
Je me fais recaler à la seconde projection des Naufragés de l’ile de la Tortue. Reste t-il des contremarques pour Les Faubourgs de la ville de Carlos Lizzani ? Non, c’est aussi complet. Je me replie sur l’exposition Faire l’idiot, une histoire du corps burlesque, qui est présentée à la Chapelle Fromentin.
Dans ce lieu désaffecté dont l’exploitation a été confiée au Centre Chorégraphique National de La Rochelle, un parcours est proposé, depuis le burlesque américain jusqu’à la danse contemporaine. L’amateur de ciné-quizz est aux anges : des extraits de La Chèvre, Mon Oncle, La Folie des grandeurs, Les Temps Modernes, le sketch des Monty Python The Ministry of Silly Walks... Voir Pierre Richard s’enfoncer dans les sables mouvants sur trois mètres de haut ! L’installation qui m’a le plus impressionné est la boucle d’une minute de Steamboat Bill, Jr diffusée sur un support vertical au niveau du Chœur : Buster Keaton à l’heure de TikTok.
En début de soirée, l’orchestre d’Harmonie de la ville de La Rochelle célèbre l’interprète des Malheurs d’Alfred. Juste avant la projection du Distrait, mini-concert puisant dans l’inusable répertoire de Vladimir Cosma. Le répertoire a été intégralement repensé pour des cuivres. Le grand blond avec une chaussure noire prend des allures de marche militaire. Sur La Chèvre, le public est invité à siffloter. Il ne se fera pas prier et le thème du film sera rejoué en bis.
J’avais oublié qu’une grande partie du Distrait est tourné dans le quartier dans lequel j’ai grandi. La scène où Pierre Richard emprunte la canne d’un aveugle a pour décor le Village Suisse. La bataille d’œufs à laquelle se livrent des anonymes qui croient reconnaitre “Monsieur Clistax” a pour cadre le square situé à côté de la mairie du XVème (J’ai reconnu le PMU qui fait l’angle avec la rue Blomet). Pierre Richard gare sa Mini Cooper rue Maublanc, perpendiculaire à la rue de Vaugirard.
Autant dire que pendant que certains rigolent, il y en a d’autres qui travaillent.
(A suivre).