Delon en large (1)
Le dernier poinçonneur de France est à La Rochelle. Et c’est souvent une poinçonneuse.
C’est un feuilleton que j’ai suivi avec plus d’assiduité que le remaniement du gouvernement : Alain Delon viendra t-il à La Rochelle à l’occasion du 50ème anniversaire du FEMA et de la rétrospective qui lui est consacrée ? Dans le JDD du 28 mai dernier, il dit que non, mais qu’il enverra sa fille Anouchka le représenter. C’est finalement son fils Anthony qui était présent lors de la cérémonie d’ouverture. En a t-il profité pour interpréter “Qu’elle revienne", son tube de 1987 ? Je n’étais pas présent.
En hommage à l’interprète de Ne réveillez pas un flic qui dort, j’ai fait ma girouette. Plus de 200 long-métrages présentés en l’espace de 10 jours, dont une majeure partie de films de patrimoine : c’était tentant. Mais faire 400 kilomètres pour aller voir en salle des œuvres que je possède pratiquement toutes en DVD, n’était-ce pas ridicule 1? Et s’enfermer dans des salles obscures alors que les vacanciers n’ont pas encore envahi la plage de Chatelaillon, n’était-ce pas paradoxal ? Depuis plusieurs années, Carine et Philippe me tannent pour que je vienne au festival et me promettent aussi bien le gite que le couvert. Je m’annonce, puis j’annule ma venue. Et je la reprogramme à la dernière minute, histoire de bénéficier des tarifs les moins intéressants que peut me proposer la SNCF.
Samedi dernier, à la boutique Oxfam de la rue St-Ambroise, je trouve Un problème avec la beauté - Delon dans les yeux de Jean-Marc Parisis. Alors que les portes du TGV Inoui en direction de La Rochelle viennent de se refermer, j’ouvre le volume :
Rouges, les fauteuils du Régina, le cinéma que dirigeait son père à Bourg-la-Reine. Blanche, la chevelure de sa nourrice à Fresnes.
Entre le rouge et le blanc, le rose des joues de sa mère.
Difficile d’établir à l’avance un emploi du temps sérieux tant l’offre est gargantuesque : il peut arriver qu’à la même heure soit programmé à la fois un Pasolini, un Melville et un Antonioni. Philippe, qui est venu m’attendre à la sortie du train, me transmet les consignes : toujours vérifier, avant de choisir, s’il s’agit de la première, de la deuxième ou de la troisième projection (chaque film passe en moyenne à trois reprises). J’ai fait l’achat d’une carte 10 entrées, que je retire à l’accueil de La Coursive. J’ai la surprise de constater que cette carte est poinçonnée à chaque séance. Le dernier poinçonneur de France est à La Rochelle. Et c’est souvent une poinçonneuse.
Le Samouraï, Jean-Pierre Melville, Italie / France, 1967, 1h45. *
Le Samouraï est présenté par l’association Ciné-ma différence, qui vise à ouvrir l’accès aux salles à un public souffrant de déficit d’attention et invite les cinéphiles à faire preuve de compréhension. Pourquoi avoir choisi un film aussi austère et silencieux que Le Samourai pour faire la promotion de cette initiative ? Je serre les dents mais la séance se déroule sans incident.
Jef Costello, après avoir dessoudé un caïd, se fait prendre en flag’ par un sosie de l’organiste Rhoda Scott. Je n’avais jamais remarqué que Jef stocke des bouteilles d’Evian et des paquets de Gitane à son domicile. Le public rit de bon cœur quand François Perrier utilise l’expression “walkie-talkie”. Je note de réaliser une capture d’écran au moment où Alain Delon surgit d’un taxi en face du 1, rue Lord Byron dans le VIIIè.
L’édition 2022 du FEMA consacre trois artistes : Alain Delon, Pier Paolo Pasolini et la cinéaste bulgare Binka Zhelyazkova (161 points au Scrabble). Je connais très mal le deuxième. Parce que la séance commence juste après celle du Samouraï, je tente ma chance avec Des oiseaux petits et gros.
Des oiseaux petits et gros, Pier Paolo Pasolini, Italie, 1966, 1h29.
Le journaliste qui présente la séance se dispute au téléphone à l’entrée de la salle. Tous les spectateurs en profitent. “J’ai 300 personnes qui m’attendent, je n’ai pas le temps de te parler maintenant”. Il prend en tout cas celui de le répéter sur tous les tons, de l’agacement à l’exaspération.
Le long-métrage est une farce lors de laquelle un père et son fils entament un dialogue avec un corbeau. Je n’arrive pas du tout à entrer dans le film, je pique même plusieurs fois du nez. J’aurais du choisir La Piscine de Binka Zhelyazkova ou L’Esprit sacré de Chema Garcia Ibarra, programmés à la même heure.
Il est temps de retrouver Carine, Philippe et leur famille à Chatelaillon. La plage est déserte et nous nous baignons au coucher du soleil. C’est un moment parfait, je ne l’oublierai jamais.
Histoire d’accentuer le ridicule, je soulignerai d’un * tous les films dont je possède une copie en DVD.