Vendredi 05 juillet
Les grosses avant-premières passées, je quitte les sentiers battus et m’aventure à la projection du Clepsydre, chef d’œuvre supposé de la science-fiction polonaise. Le distributeur nous met en appétit : LE grand cinéaste polonais oublié (Wojciech Has), la réhabilitation durant les années 2000 grâce à Scorsese, le coffret de 14 Blu-ray à venir.
A la séance de 10h, un 05 juillet, il y en a quand même trois qui lèvent immédiatement la main pour gagner un lot de cartes postales en répondant à la question suivante :
- Quel est le film le plus connu de Wojciech Has ? 1
Malheureusement, Le Clepsydre est incompréhensible. Totalement délirant visuellement, mais labyrinthique narrativement parlant. Je pique du nez pendant la première heure. On dirait un épisode interminable de La Quatrième Dimension réalisé par Kieslowski.
Des miracles comme il n’en a lieu qu’à La Rochelle. Quelques jours après avoir admiré la beauté diaphane d’Aurore Clément chez Wenders et chez Chantal Akerman, rendez-vous avec la vraie Aurore Clément, venue rendre hommage à la réalisatrice sous la forme d’une lecture de Une famille à Bruxelles.
Le texte est dans la droite lignée de News From Home. Les voix se succèdent : celle de la mère et celle de “la fille qui habite Ménilmontant” et derrière laquelle on reconnait la réalisatrice. Aurore Clément lit d’une voix neutre. On entend l’amour entre deux personnes malgré l’éloignement géographique.
A la sortie du spectacle, deux corbeaux, dans mon dos :
- Elle n’a plus de voix.
- Je n’ai pas été sensible au texte.
- On n’entendait rien.
La prochaine fois, allez écouter Florence Foresti.
Aurore Clément a fait le déplacement avec son mari, Dean Tavoularis, qu’elle a rencontré il y a 50 ans sur le tournage d’Apocalypse Now. C’est un vieux monsieur de 92 ans, qui marche avec une canne et qui parle à voix basse, mais qui accepte de nous dire quelques mots avant la projection de Zabriskie Point.
Il raconte sa réaction de rejet quand il a lu le script du film pour la première fois et le temps qu’il lui a fallu pour gagner la confiance d’Antonioni. La dernière question porte sur l’explosion finale, une des scènes les plus spectaculaires du cinéma des années 60. Le chef décorateur confie n’avoir éprouvé aucun remord à voir disparaître en quelques secondes le bâtiment qu’il avait élaboré.
La projection est un émerveillement. Le restauration est sublime. Avoir l’occasion de voir ce film en salle est une chance exceptionnelle. Je ne me souvenais pas que “You Got The Silver” des Stones figurait dans la bande originale, et pour cause : le titre ne figurait pas sur le 33 tours.
A la fin de la projection, Aurore Clément et Dean Tavoularis dédicacent leurs ouvrages. Les deux livres sont chers et il n’y a pas grand monde. Je reste longtemps à observer la tendresse qu’elle a pour lui.
Impossible, après un ravissement pareil, d’envisager une autre séance. Même s’il aurait été assez comique d’enchainer Zabriskie Point avec Point Break, à 22h15, en grande salle.
Samedi 06 juillet
Dernière journée complète au Fema. Je débute avec D’où vient cet air lointain, documentaire consacré à la carrière de Yannick Bellon. Avec 70 ans d’activité au compteur, elle est peut-être la réalisatrice qui a eu la plus longue carrière de l’histoire du cinéma.
J’ai de la curiosité pour Yannick Belon depuis que j’ai vu La Triche2, polar des années 80 qui met en scène un Victor Lanoux flic dissimulant son homosexualité. L’exact opposé du macho qu'il interprète dans Un Eléphant, ca trompe énormément.
Au sujet de la réalisatrice, j’ignorais tout : qu’elle avait été la compagne de Jean Rouch, qu’elle avait réalisé pour la télévision la première émission de Michel Polac, que Georges Delerue avait produit à ses frais la bande originale de son premier long-métrage Quelque part, quelqu’un, qu’elle avait été amie avec Chris Marker…
Ce documentaire est taillé pour le néophyte que je suis. Parmi les acteurs ayant débuté chez Yannick Belon, je reconnais Daniel Auteuil, Pierre Arditi, tous deux au générique de L’Amour violé3, ou Emmanuelle Béart (Les Enfants du désordre4).
Je profite de la pause déjeuner pour visiter Cine-Matouvu, la boutique de cinéma de La Rochelle.
- Excusez-moi, je cherche des photos de Jean-Pierre Léaud ?
- C’est un acteur, ça, Jean-Pierre Léaud ?
J’ouvre la boite contenant des portraits d’acteurs français et je tombe sur un lot de photos de Christophe Lambert.
J’hésite à répliquer au vendeur :
- Excusez-moi, c’est un acteur, ça, Christophe Lambert ?
Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, film roumain présenté en avant-première, décrit l’explosion d’une cellule familiale suite à l’agression dont a été victime le fils. La tension rappelle celle des Graines du figuier sauvage. Mais le cadre est radicalement différent (Un village rural niché dans le détroit du Danube) et l’intervention d’un deus ex-machina détourne le cours abominable du récit.
Sortie en salles le 23 octobre.
Parmi les séances suivantes : une famille dont le père meurt brutalement (L’Arbre) et un enfant qui perd la vue (Rouge comme le ciel). J’ai envie d’un peu de légèreté. Et le nouveau Desplechin, ça vaut quoi ?
Spectateurs ! est présenté comme un essai sur l’amour du cinéma. Malheureusement, c’est un ensemble incohérent mêlant autobiographie, documentaire et hommage (et plagiat du Luc Lagier ?). La dernière demi-heure, consacrée à Jacques Lanzman, est à la limite du hors-sujet.
A la fin de la projection, le réalisateur dialogue avec le public. Et se lance dans une digression au sujet de la solitude chez Pierre de Ronsard. Il est encore une fois à côté de la plaque.
Sortie en salle le 15 janvier 2025.
L’Histoire de Souleyman me replonge dans un quotidien étouffant : celui d’un sans papiers livreur à domicile. Je suis particulièrement sensible à leur cause : je croise tous les jours des Souleyman dans Paris, roulant sans casque et sans phare, risquant leur vie pour livrer une pizza à temps.
L’Histoire de Souleyman décrit avec un réalisme documentaire ce chemin de croix vers un possible titre de travail. Et pose de nombreuses questions, comme celle de l’exploitation des plus fragilisés.
Le réalisateur Boris Lojkine, dont c’est le troisième long-métrage, se défend d’avoir voulu tourner un film politique. Mais confie qu’il est tout à fait prêt à le défendre sur ce terrain.
Sortie en salle le 09 octobre.
Dimanche 07 juillet
Est-ce que la programmation du Fema 2024 était particulièrement sérieuse ou est-ce moi qui n’ai choisi que des films avec des forts contextes sociaux ? L’édition de cette année n’a pas fait dans la légèreté. Alors j’ai choisi de terminer par Tootsie. Jamais revu depuis sa sortie en salles en 1982.
Je me suis mélangé les pinceaux. Dans mon souvenir, Dustin Hoffman se travestissait pour rendre visite à son fils, dont il vit séparé. J’ai fait un mélange avec Kramer contre Kramer.
Quarante ans après sa sortie, Tootsie demeure une comédie irrésistible. J’ai éclaté de rire plusieurs fois. Mais le plus étonnant reste l’actualité du propos : l’empowerment prend ses racines dans ce film visionnaire.
Deux choses ont vieilli : la décoration des appartements (Mais pourquoi Jessica Lange a-t-elle placé sa chaine hifi dans l’entrée ?) et la musique (Du sous-Christopher Cross au robinet). Je vais essayer de placer la blague “Donnez-moi un double Champagne” dans les semaines à venir. Et réaliser une capture d’écran de la scène où Teri Garr cite Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir parmi ses lectures de chevet.
Tootsie est parvenu à me faire oublier pendant deux heures que le Fema, c’était fini pour moi. Si j’avais choisi de rentrer demain, j’aurai pu voir les 7 heures du Napoléon d’Abel Gance. Ou Daisy Glover. Ou Le Fils adoptif. Ou La Fureur de vivre.
La Fureur de vivre, c’est bien avec James Dean ?
Si tu n’as pas crié Le manuscrit à Saragosse, tu as perdu.
https://www.tv5mondeplus.com/fr/cinema/comedie-dramatique/la-triche
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