C’est Nicolas qui m’a filé le plan. Un particulier qui vend sur rendez-vous. En allant fouiller parmi les disques, Nicolas a vu qu’il y avait des fiches de Monsieur Cinéma et il a pensé à moi. Nicolas pense souvent à moi. Il m’envoie des articles de presse, m’invite à des avant-premières, me prête des livres. Que ferai-je sans Nicolas ? C’est comme une seconde mère. Avec de la moustache.
J’appelle. “Des fiches de monsieur Cinéma ? J’en ai plus de 5.000. J’ai aussi des photos de films et des affiches. Passez quand vous voulez, je suis à votre disposition”. Le rendez-vous est fixé une heure plus tard, à deux pas de la place de la République. Un homme d’une soixantaine d’année me tient la porte. Et m’emmène dans un local qui tient à la fois du coupe-gorge et de la caverne d’Ali Baba. C’est un couloir sans fenêtres. Saturé d’objets du sol au plafond. Je comprends pourquoi mon vendeur ne reçoit que sur rendez-vous : la capacité d’accueil est réduite à une seule personne.
Il me tend un tabouret et me propose à boire. Et combien ça vaut tout ca ? 3 euros la photo, 40 centimes la fiche. C’est la réponse que j’attendais pour commencer à jeter un œil. Je prends une pile de photos d’exploitation. Ca va dans tous les sens. “De bruit et de fureur”, “Hôtel des Amériques”, “L’Homme qui en savait trop”, “Blade Runner”, “Aprile”… mais aussi des nanards pas possibles : “Le Coq du village” avec Aldo Maccione. “Tout le monde peut se tromper” avec Fanny Cottençon. J’ai collectionné avec avidité les photos de films quand j’étais adolescent. Je connaissais tous les dealers sur Paris. Après avoir été clean pendant 35 ans, je ne vais pas retomber dedans quand même ?
Il m’explique qu’il est fan de cinéma depuis qu’il a 15 ans et qu’il a fait de sa passion un métier. Il a tenu une boutique spécialisée dans le quartier Latin. Il me montre un article que Télérama lui a consacré : j’apprends qu’il s’appelle Jo. Il a tâté un peu de figuration aussi : dans des Mocky et dans des Chabrol. Avec tout ce qui s’est passé ces deux dernières années, il a plié boutique.
“Faites comme chez vous”. “Vous êtes sûr que vous ne voulez pas quelque chose à boire ?” Jo est avenant. A un moment, entre deux classeurs de photos de film, je tombe sur un album de famille. Dès que j’ai pénétré chez Jo, j’ai compris que la frontière entre la vie et le cinéma est tombée. Je mets de côté trois photos : Rüdiger Vogler dans “Au fil du temps” de Wenders, Patrick Dewaere dans “Beau père” et le casting complet du “Roi de cœur” de Philippe de Broca.
Je regarde ma montre. Mon fils m’attend à 19h. Je n’aurai pas le temps de consulter une par une les 5.000 fiches de Monsieur Cinéma. J’en prends un paquet. Je tombe sur “L’Ami de Vincent” de Pierre Granier-Deferre, film dont j’ai mis en ligne cet après-midi même une série de superpositions. Très vite, c’est “Un étrange voyage” d’Alain Cavalier, dont je montrais ce midi des extraits à Martin dans l’espoir qu’il parvienne à identifier les lieux du tournage1. Il y a aussi la fiche de “Femmes femmes” de Paul Vecchiali, que j’expédie immédiatement par fichier électronique à Abisko, à plus de 2.000 kilomètres de là, aux amis qui m’ont offert le coffret. Qu’est-ce que j’ai dit, au sujet de la frontière entre la vie et le cinéma ?
Jo me fait confiance pour le décompte. Trois photos d’exploitation et quinze fiches de Monsieur Cinéma. Quinze euros. Est-ce que je peux faire circuler ses coordonnées autour de moi ? Bien évidemment. Il est disponible tout le temps : il habite juste au-dessus, il n’a qu’a descendre. Que je n’hésite pas à le rappeler. Même le dimanche.
Il est 9h45. Est-ce que je vais tenir jusqu’à la fin de la journée sans rappeler Jo ?
Martin a mis moins de douze heures pour les retrouver. TOUS.
Un jour j'aimerais bien rencontrer Jo aussi!