Tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu un magnétoscope (4)
Stuck inside of La Rochelle with the Chatelaillon blues again.
Vendredi 07.07
Etat des lieux une semaine après mon arrivée à La Rochelle :
Bette Davis 1
Lars Von Trier 2
Pierre Richard 2
Sacha Guitry 1.
Il est temps de rééquilibrer la balance et je me présente en Grande Salle pour la séance du Diable boiteux. Je n’ai rien lu au sujet du film : je sais juste qu’il dure 2h10. Et je découvre rapidement qu’il s’agit d’un biopic consacré à Talleyrand, homme d'État et diplomate français (1754-1838), dont le réalisateur s’est accaparé le rôle principal. C’est donc mon premier Guitry dirigé par Guitry, en même temps que ma première leçon d’histoire au sujet de la Restauration.
La cinéaste Axelle Ropert remet le film dans son contexte : Guitry, qui n’a jamais caché sa sympathie pour le maréchal Pétain, a été inculpé à la Libération pour “intelligence avec l’ennemi”. Impossible de ne pas se poser de question sur sa motivation, en 1948, à dresser le portrait d’un homme qui déclarait s’être toujours mis au service de la France. Selon la réalisatrice, ce n’est pas clair que Guitry parle de lui quand il parle de Talleyrand, et cette innocence rend le film délicieux. C’est une fan qui parle : elle présente plus tard l’homme comme un des plus grands acteurs au monde, “au niveau de Welles”.
Une spectatrice l’interpelle : mais Guitry, gros misogyne quand même ?1 La réalisatrice va contre cette idée reçue : Guitry a, tout le long de sa carrière, écrit des rôles formidables pour les femmes. Après la projection du film, Axelle Ropert demande à ceux dans la salle qui ont trouvé Guitry insupportable de lever la main. Je n’ose pas lever la mienne : j’ai eu trop peur de me faire huer.
Après deux heures sur Talleyrand, ma motivation pour enchaîner sur quatre heures au sujet de Molière (le biopic réalisé par Ariane Mnouchkine en 1978) est remise en question. Alors que je commence à faire la queue pour Les Idiots, un groupe de scolaires pénètre dans le cinéma. Ils vont vraiment voir le Lars Von Trier ?
C’est le deuxième film tourné selon les principes du Dogme : autant dire que toute la sophistication qui m’avait enchanté lors de Element of Crime est absente. A plusieurs moments, on aperçoit même la perche du preneur de son… C’est un film cru. Mais j’aime bien être dérangé quand je vais au cinéma, raison pour je pense que Yórgos Lánthimos est le successeur de Luis Buñuel. Au moment de l’orgie, je pense au groupe de scolaires. Ce n’est pas dans la salle D2 qu’ils se rendaient. Mais qu’est-ce qu’ils sont allé voir ? Quand les vagues se retirent, de Lav Diaz, en D5 ? Nuit de Noces de Paul Cruchten, en D1 ? 2
J’ai un peu honte. J’ai acheté le coffret Kiarostami lors des soldes de la boutique Potemkine mais je n’ai jamais pris le temps de le regarder. N’ai-je pas mieux à faire qu’à aller voir Où est la maison de mon ami, alors qu’il m’attend chez moi ? Non : c’est toujours mieux au cinéma.
Et je suis pris d’une immense empathie pour le petit garçon qui veut rendre le cahier qu’il a embarqué par erreur. Je tremble pour lui. J’ai envie de crier après tous les adultes qui se mettent en travers de son chemin : sa mère, qui fait mine d’ignorer sa supplique, son grand-père, qui l’envoie acheter des cigarettes uniquement pour mettre à l’épreuve son autorité sur lui… J’ai moins été terrifié par la moitié des films d’horreur que j’ai vu que par le chemin de croix de cet enfant qui porte pourtant sa bonne foi sur son visage.
Samedi 08.07
Après Dogville, Manderlay en salle D2. La suite des aventures de la fille d’un caïd à travers les Etats-Unis frappés par la Grande Dépression. Lars Von Trier tourne à nouveau sur un plateau de théâtre. Ni Nicole Kidman, ni James Caan n’ont repris leur rôle. On retrouve par contre Chloé Sevigny, Jeremy Davies, Udo Kier, Željko Ivanek… Evidemment, après avoir lu Dogville, le spectateur sait que la situation va à un moment se retourner contre la protagoniste. Mais j’ai une nouvelle fois été impressionné par la mécanique parfaitement huilée du procédé narratif. J’ai pris tout autant de plaisir à retrouver la voix de John Hurt. Et j’ai été tout aussi impressionné par la série de photos qui défilent pendant le générique de fin au son du “Young Americans” de David Bowie.
En pénétrant en salle D2, la vingtième entrée a été poinçonnée sur ma carte. J’ai péché par manque d’anticipation : le festival dure encore jusqu’à demain soir, il reste le marathon Nicole Kidman, l’avant-première du nouveau Wenders, des Bette Davis, des Sacha Guitry, des Pierre Richard…
Mais,
mais,
mais.
Est-ce qu’au contraire, ce n’est pas le bon moment d’arrêter avant que tout se confonde dans ma tête ? Je regarde le calendrier que je déplie tous les jours : il part en morceaux. Pendant plus d’une semaine, je suis sorti d’une salle pour me plonger dans une autre. Est-ce que j’ai profité de la douceur de vivre de la Nouvelle-Aquitaine ? Est-ce que j’ai profité de la compagnie des amis qui ont la gentillesse de m’héberger et de me conduire sur La Rochelle chaque fois que j’en exprime le souhait ? Je raccroche mes gants. Non sans une dernière épreuve : le ciné-quiz de 17h00 en salle D3.
Deux manches. La première selon le principe de la ronde : 75 extraits d’une durée de 30 secondes, avec un personnage en commun d’une scène à l’autre. Jacqueline Bisset et Marcello Mastroianni, puis Mastroianni avec Monica Vitti, puis Vitti avec Alain Delon, puis Delon avec Nathalie Baye… A la fin de la première manche, tu passes ta copie à ton voisin et on fait la correction tous ensemble. L’Homme aux clés d’or, qui l’avait ? Le téléphone rose, avec Pierre Mondy et Mireille Darc ? L’Héritière ? Station Terminus ? L’Adieu aux armes ? Je fais le mariolle parce que j’ai reconnu André Dussollier et Jeanne Goupil dans Marie Poupée (je ne suis pas le seul). Hé, mais c’est un film qui n’existe qu’en VHS ! Y’a du niveau.
Seconde manche : 25 extraits sur la thématique du train. Charles Denner dans un Lelouch. C’est Partir Revenir ? Non, c’est Toute une vie. L'Enigme du Chicago Express, qui l’avait ? Entre le ciel et l’enfer ? Le voleur de train ? Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait ?
J’ai terminé avec 39 points / 100. Je tenterai une nouvelle fois ma chance l’an prochain.
A cette réflexion, j’entends encore le nom de Guitry proposé à tort et à travers par tous les candidats des Grosses Têtes de Philippe Bouvard.
Résumé : “Nuit de noces est un film dur, pessimiste, sans illusions apparentes. […] L’espoir émanant de cette œuvre est situé en dehors de celle-ci afin de ne pas la gêner.”
une pause de 5 jours :-)
Merci pour ces résumés sur le vif de ce festival. Fais-tu une pause dans la cinéphilie suite à ces 20 séances en rythme soutenu ?