En janvier dernier, j’avais eu la chance de voir un de mes DVD projeté dans une salle de cinéma. C’était un des premiers billets de cette newsletter, et je ne pensais pas que, six mois plus tard, cette mailing-list existerait encore.
Programmer un film était un plaisir qui m’était jusqu’ici inconnu. Quand le directeur du Louxor me l’a proposé, j’ai accueilli cette nouvelle avec autant d’excitation que d’incertitude. Car une idée en chassait immédiatement une autre. La vie à l’envers de Jessua, pour avoir le bonheur de suivre Charles Denner dans un Paris déserté ? L’homme qui dort de Perec, pour retrouver Jacques Spiesser place Furstenberg ? La Chamade de Cavalier, pour partager une clope avec Catherine Deneuve place Vendôme ?
Alors que j’étais en train de me faire des nœuds au cerveau, j’ai appris la parution d’un roman graphique adapté de Diabolo Menthe. Dont deux superpositions figurent dans mon expo. Chance supplémentaire : je connais personnellement l’auteur, Cathy Karsenty. En moins de 24 heures, l’affaire était emballé. Diabolo Menthe serait projeté au Louxor le samedi 15 octobre à 11h. Suivi d’une dédicace du roman graphique. Et, cerise sur le diabolo, en présence de Diane Kurys.
Je ne connais en tout et pour tout que deux films signés Diane Kurys. Mais j’ai une passion pour Cocktail Molotov, son second long-métrage. Je l’ai même regardé deux fois la semaine ou je l’ai découvert sur une plateforme de streaming : je suis immédiatement tombé sous le charme fou d’Elise Caron. Sans l’être officiellement, Cocktail Molotov est la suite de Diabolo Menthe : une lycéenne décide de tout plaquer pour un road-trip avec François Cluzet, qui apparait pour la première fois à l’écran.
En attendant la venue de la réalisatrice, dans les fauteuils du Louxor, je revois Diabolo Menthe. Je pleure quand une des lycéennes évoque le massacre de la rue de Charonne. Je pleure une seconde fois quand la mère, au fond du trou, rentre chez elle et découvre que ses filles lui ont organisé un anniversaire surprise. Quand j’entends les premières mesures de la guitare d’Yves Simon, je me retiens de chialer une troisième fois. Pas une troisième fois, Emmanuel. Quand même…
Diane Kurys est ovationnée par le public. Elle est bavarde : elle confie que le script s’est successivement appelé T'occupe pas du chapeau de la gamine, laisse flotter les rubans (en hommage à Audiard) et Histoire de petites filles. Que la production était formellement opposée à ce que le long-métrage porte le nom d’une boisson, qui plus est obsolète à la sortie du film. Qu’ Éléonore Klarwein (Anne) a commencé par refuser le rôle principal parce qu’elle partait en vacances avec son papa, et que c’est devant l’insistante de la réalisatrice qu’elle a fini par modifier son emploi du temps. Que Diabolo Menthe a eu la chance de sortir 15 jours avant Noël (le 14 décembre 1977), et que sans ce timing parfait, associé au matraquage sur les ondes de la chanson d’Yves Simon et à l’affiche signée Floc’h, il n’aurait certainement pas eu le même succès (Trois millions d’entrées).
Je l’interroge au sujet du monologue de Charonne : il n’était pas prévu dans le script initial. C’est la production qui a conseillé à la réalisatrice d’insérer dans son film une séquence émotion, sur le modèle des Dents de la mer. Une séquence émotion dans Les Dents de la mer ? Il faut que je le revois, j’ai du la rater.
Et la brune qui récite le monologue de Charonne, qu’est-elle devenue ? C’est Corinne Dacla (A ce moment là, le fan de Rue barbare qui sommeille en moi se réveille en sursaut : CORINNE DACLA1). Aux dernières nouvelles, après avoir fait la couverture de Télé Z en 1999, elle serait devenue libraire. Et c’est là que Diane balance le scoop : la chanson d’Yves Simon lui a été inspirée par une lettre d’amour qu’il avait reçu de la part de Corinne Dacla, qui était la fille de son directeur artistique. Dans tes classeurs de lycée / Y a tes rêves et tes secrets. Les classeurs de Corinne.
La glace fondue, j’harcèle la réalisatrice de question. Pourquoi a t-elle choisi de tourner la scène où les filles vont au cinéma au Palace Croix-Nivert, dans le XVè, alors qu’elles habitent dans le XVIIIè ? Parce qu’aucun cinéma du XVIIIè n’avait cette patine vintage. Est-ce qu’elle habitait elle aussi au 7 rue de Cloys, qui est l’adresse des filles dans le film ? Pas du tout : elle habitait rue Caumartin.
J’ai préparé pour Cathy Karsenty et Diane Kurys une surprise. J’ai fait réaliser des tirages au format A4 de cinq superpositions du film. A la fin de la dédicace, je leur offre. Quand j’ai réalisé ces images, en 2020, je ne me serai jamais douté qu’elles seraient un jour vues par la personne qui en est à l’origine.
La séance a été un succès : une centaine de spectateurs payants. Entre deux portes, je coince le directeur du cinéma : est-ce que je pourrais programmer un autre film d’ici la fin de mon exposition ? Et si, la prochaine fois, on regardait Cocktail molotov ?
Nicolas, après la projection, me rappelle que Corinne Dacla est à l’affiche de Désordre d’Olivier Assayas et qu’elle fait une apparition dans le clip de “Two people in a room” de Stéphane Eicher. J’apprends en rédigeant cette notule qu’elle a aussi signé le texte de “Combien de temps”, du même Stéphane Eicher.