Tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu un magnétoscope (1)
Parisien de naissance mais Rochelais de cinéma.
Mes parents avaient appris qu’une chambre de bonne au sixième étage allait être mise en vente. Sans doute fatigués de déplier le canapé du salon tous les soirs depuis ma naissance, ils firent l’acquisition d’une pièce en plus, ce qui allait me permettre de gagner en autonomie (puisque j’en devenais l’occupant) en même temps qu’ils retrouvaient leur confort. Du vrai gagnant-gagnant. Mais cet investissement avait un prix : tous mes caprices d’enfant unique (chaine hifi, magnétoscope, planche à voile, Formule 1…) se retrouvaient reportés sine die. Ma cinéphilie naissante se trouvait limitée au film du dimanche soir, sans la possibilité de le conserver ni de le revoir.
Aujourd’hui, je revois beaucoup. Moins pour vérifier la précision de mes souvenirs que pour réapprendre les films, selon une grille de lecture que j’ai construite d’année en année. Je cherche les adresses dans Paris, je note les numéros de téléphone, j’enregistre les monologues sur mon téléphone.
Je n’avais jamais été client des festivals de cinéma. Jusqu’à ce que Jérémie et Christophe inventent Cinécomedies, première manifestation dédiée au patrimoine du long-métrage français d’humour. Pour la première fois, je découvrais Le Jouet de Francis Veber sur grand écran. A la première apparition de Michel Bouquet (l’abominable Rambal-Cochet), j’avais déjà les mains moites.
La brèche ouverte, Carine et Philippe n’avaient plus qu’à m’attirer dans leurs filets, tendus dans le port de La Rochelle. Le Fema, à l’occasion de sa cinquantième édition, proposait une rétrospective Alain Delon. Le Samouraï, Rocco et ses frères, Le Cercle Rouge, L’Eclipse, Le Guépard… Tout ça projeté dans la grande salle de la Coursive. J’étais parti pour 5 jours, je promettais de revenir l’an prochain pour l’intégralité du festival.
Vendredi 30 juin, j’ai pris place à bord du Ouigo en direction de La Rochelle. C’était sans doute la première fois de ma vie que je partais en vacances aussi tôt. La cuvée 2023 s’annonçait riche en émotions : parcours Sacha Guitry et Bette Davis, rétrospective Lars Von Trier, hommage à Pierre Richard et marathon Nicole Kidman. 200 films sur 10 jours. Et à chaque heure, des dilemmes cornéliens : La Lettre de William Wyler, Cher Papa de Dino Risi (en présence d’Aurore Clément) ou Les Malheurs d’Alfred ? A l’accueil, je pèche par excès de modestie : au pass illimité (99 euros + catalogue offert), je préfère la carte 20 entrées (80 euros). Sitôt le calendrier en main, je commence à établir un emploi du temps pour les jours à venir.
Samedi 01.07
Eve en Grande Salle à 10h15. C’est mon premier Mankiewicz. Je ne peux pas m’empêcher de m’identifier au rôle tenu par Anne Baxter : celui de la groupie qui assiste à toutes les représentations de son idole et qui l’attend sur le chemin qui mène aux coulisses dans l’espoir de l’apercevoir. La groupie ne restera pas longtemps cantonné à ce rôle. Eve annonce un autre film présenté au Fema cette année : Prête à tout de Gus Van Sant. Le film se déroule sous la forme d’un flashback qui retrace une ascension aussi irrésistible que controversée. Pour une première séance, j’ai placé la barre assez haut.
Dès les lumières rallumées, je file place du marché en quête d’un plateau d’huitres accompagné d’un dé à coudre de vin blanc.
Phil m’a conseillé de commencer Guitry avec La Poison. Je suis sa recommandation à la lettre, puisque le film est programmé à 14h15 en Grande Salle. Surprise lors du générique, puisque le réalisateur apparait à l’écran pour présenter les comédiens et l’équipe technique. Et c’est un régal : Michel Simon est machiavélique. La Poison adapte un fait divers sordide sous la forme d’une comédie au vitriol. C’est aussi une œuvre visionnaire, puisque le battage médiatique y est tourné au ridicule (Le long métrage date de 1951).
Pourquoi retourner voir Jeanne et le garçon formidable, dont je ne gardais pas un souvenir inoubliable ? Pour retrouver Paris dans les années 90 ? Le long du quai de Seine et du quai de Loire, les cinémas MK2 n’ont pas encore poussé. Pour joindre son correspondant, on part à la recherche d’une cabine téléphonique. Jacques Bonnaffé pleure son amour perdu, Valérie Bonneton et Denis Podalydes célèbrent la vie à crédit. Virginie Ledoyen est la seule à ne pas chanter son propre texte : elle est doublée par Elise Caron. Elise Caron ? Inoubliable dans Cocktail Molotov de Diane Kurys1. Mais Jeanne et le garçon formidable, vingt-cinq ans après sa sortie, ne dépasse toujours pas le cadre de l’hommage de Jacques Demy.
Lors de l’échange qui suit la projection, le coréalisateur Olivier Ducastel explique que le film a été écrit pour deux comédiens qui ont dû être remplacés. Il se garde bien de citer leurs noms car la comparaison n’est pas flatteuse : à la place de Virginie Ledoyen et Mathieu Demy, on aurait du découvrir Jeanne Balibar et Mathieu Amalric. Il ne s’étend pas sur la polémique dont les lecteurs de Trois Couleurs ont été les arbitres.
Un karaoké conclut la séance. Carine et moi nous époumonons sur “La vie à crédit”.
Dimanche 02.07
L’appel de la grasse matinée est plus fort que celui du cinéma, et c’est par Le Grand blond avec une chaussure noire en salle D2 que débute l’après-midi. C’est le prétexte parfait pour réviser le dictionnaire des troisièmes couteaux du cinéma français des années 70 : Paul Le Person, Maurice Barrier, Robert Dalban, Jean Saudray… J’avais oublié que les cartes à jouer, pendant le générique, étaient manipulées par Gérard Majax. Je passe à une partie du film à essayer de deviner l’adresse de l’appartement de Pierre Richard : il s’agit du 46 avenue de la Bourdonnais, à côté du Champs-de-Mars.
Le film d’Yves Robert ne souffre d’aucun temps mort. Après avoir été essoré par la télévision depuis 50 ans, Le Grand Blond… retourne toujours une salle en 2023. Est-ce qu’on enchaine avec Les Malheurs d’Alfred en D2 à 19h45 ? Non, encore plus fou que ça. Avec Le Retour du Grand Blond, à domicile, sur le rétroprojecteur. Mais si le festival n’a pas choisi de le programmer, c’est qu’il y a une raison : c’est la même chose en moins bien. En beaucoup moins bien.
Et pourtant les moyens étaient là (la scène d’ouverture, à Rio), et le casting aussi : Pierre Richard, Mireille Darc, Jean Carmet, Paul Le Person et Jean Rochefort rempilent. Les absents se font sentir : Michel Duchaussoy n’est pas de taille à remplacer Bernard Blier. Pas plus que Henry Guybet à la place de Maurice Barrier. Et Gerard Majax ? Ah, c’est pas la peine de payer des billets pour Rio quand t’as pas réussi à sécuriser la présence de Gérard Majax.
(A suivre).
J’ai eu l’affiche de ce film (dessinée, comme celle de Diabolo Menthe, par Floc’h) encadrée au pied de mon lit.